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Ethique réaliste vs Business Ethics et RSE

Invité par l’Association Avarap 06 à intervenir dans le colloque « People, Planet, Profit » qu’elle a organisé à Sophia Antipolis le 17 septembre 2012, Philippe Caner, Président-Fondateur d’EthiCum, a ouvert le débat, non pour fustiger la RSE et le Business Ethics, mais pour les relativiser par rapport à une éthique appliquée, réaliste et pragmatique, bien éloignée des faux-semblants marketing et packaging du Green Washing et de ses avatars tels que les « Codes de déontologie ». Une « éthique » a contrario très proche de la « philosophie entrepreunariale » de nombre de patrons de TPE/PME dont il fait partie.

Ci-après l’intégralité du discours prononcé.

Parler de « Responsabilité d’Entreprise » ne peut manquer – aujourd’hui – de renvoyer à cette fameuse Responsabilité Sociétale des Entreprises / RSE concept sur lequel EthiCum fut pionnière il y a 10 ans.

J’ai failli dire « fumeuse RSE » car en effet la tendance est de voir la RSE comme une sorte de technique qui, tout en se structurant, se complexifie de jour en jour et j’en veux pour preuve la profusion de référentiels et de normes avec parfois plusieurs centaines de critères qui poussent comme autant de champignons pas toujours comestibles.

Mais commençons par clarifier un point crucial :

Peut-t-on vraiment parler de responsabilité d’entreprise ?

Légalement peut-être, mais humainement je ne crois pas !

En effet : une entreprise est une “personne morale” – sans jeu de mots – qui, en tant que telle, ne pouvait jusqu’à 1994 être tenue pour responsable de certains actes délictueux relevant du pénal.

Cette responsabilité pénale de l’entreprise “personne morale” a été renforcée par la Loi Perben de 2004 et la tendance à l’aggravation des peines jusqu’à la fermeture de l’entreprise pour des infractions d’ordre légale ou même… “éthique” a dès lors été possible.

Cette évolution du droit, somme toute récente, induit une réflexion sur le plan de la Responsabilité et donc de l’éthique de l’Entreprise :

En effet, peut-on réellement dire qu’une entreprise “Personnel Morale” est ou n’est pas « responsable » ou “éthique” ?

Prenons l’exemple d’une entreprise qui adopterait des pratiques condamnables et qui serait condamnée.

Tout un chacun pourrait spontanément dire : “cette entreprise n’est pas éthique” !

Mais est-ce juste et qui est responsable de cet état de fait ?

Est-ce vraiment “l’entreprise” ? Ou n’est-ce pas plutôt son “dirigeant”, celui ou ceux qui ont le pouvoir de décider, d’adopter et de poursuivre ces pratiques condamnables ?

Dire qu’une entreprise est “non éthique” c’est d’une certaine manière amalgamer sur la position du véritable décideur toutes les parties prenantes y compris de facto les employés, même ceux qui ne sont ni responsables des pratiques condamnables ni même directement concernés par elles.

Ceci étant, on pourrait peut-être déterminer que certains employés ont adhéré aux pratiques non-éthiques, ils seraient alors co-responsables et en quelque sorte “complices”.

Mais pour que la “personne morale” puisse être globalement jugée non-responsable ou non-éthique il faudrait donc que – de la direction au plus modeste des employés - 100% des “personnes physiques” approuvent ces pratiques condamnables, et ce en pleine connaissance de cause.

Ce qui n’est guère plausible sauf peut-être dans les toutes petites entreprises et encore…

Et pourtant avec la bénédiction du Législateur, un Juge peut pénaliser l’entreprise dans son ensemble donc mutualiser la faute et la sanction.

Il y a là de mon point de vue beaucoup à redire.

Tout comme il y aurait à redire d’ailleurs quand un Juge – en respect des Lois – pénalise un chef d’entreprise pour une faute qu’il n’a pas commise lui-même et alors que le vrai fautif a été formellement identifié.

Il y a bien là un enjeu en termes de Responsabilité, en premier lieu individuelle, comme l’est d’abord l’éthique.

En tout cas il me parait judicieux d’être extrêmement circonspect avant de déclarer une entreprise « non-responsable » ou « non-éthique »

tout comme a contrario de la déclarer « éthique ».

Je recommande même de s’en abstenir.

Pour moi il va de soi que ce n’est pas l’Entreprise qui est ou n’est pas responsable ou qui définit un périmètre de sa responsabilité ou de son éthique, mais d’abord ses dirigeants, et éventuellement ses employés.

Il est possible cependant de dire que l’ « impact sociétal » d’une entreprise et l’étendue des conséquences induites par son activité dépendra avant tout de sa taille et de la dite activité et que donc il est possible de circonscrire son périmètre technique de responsabilité.

Ceci étant si l’on parle de périmètre on pense plutôt mentalement à un cadre et comme vous pouvez le comprendre c’est de cadre « éthique » dont j’ai plutôt envie de parler (mes collègues intervenants vous en diront plus sur la RSE et le DD).

Je vais donc survoler la thématique RSE et ce sans aucune envie de hiérarchiser entre éthique et RSE car je n’en ai pas de vision négative –  bien au contraire – et ce d’autant plus que la philosophie EthiCum est d’être « pour » constructivement et non « contre » avec le glaive du Chevalier Blanc, donc être « pour » une démarche éthique n’est pas être « contre » les bonnes pratiques RSE, c’est évident.

A ce stade je ne puis m’empêcher de me souvenir qu’à l’époque où j’ai fait l’EDHEC nous n’avions aucun cours de RSE et pourtant nous étions clairement éduqués pour être des patrons et cadres responsables et j’ai le sentiment qu’aujourd’hui encore, un étudiant d’un IAE ou d’une Business School devrait avoir naturellement des compétences RSE. Le mot « naturellement » n’étant pas fortuit.

Demandez à un « petit patron » de PME ou TPE s’il ne lui parait pas « naturel » de « bien » s’occuper de ses clients et de ses employés ?

Ceci dit : une bonne question pourrait être : mais pourquoi a-t-il fallu développer cette RSE jusqu’à en faire une norme internationale ISO 26000 dans laquelle j’ai relevé que l’éthique est l’un des 7 principes –  bizarrement le 3ème – intégré à la demande exprès des américains, je tiens à donner cette précision sur laquelle je reviendrai.

N’est-ce pas par ce qu’il fallait tenter de remettre de l’ordre dans le Business ? – J’ai failli dire « semblant de tenter » –.

Qu’après les scandales Enron et WorldCom qui ont mis en lumière les limites du Business Ethics et sa morale de comptoir - comme la psychologie du même nom - la Corporate Social Responsibility allait être la pierre philosophale, le remède infaillible aux tentations malhonnêtes de certains dirigeants qui sont les arbres cachant la forêt de ceux honnêtes fort heureusement majoritaires.

Je voudrais à ce stade tordre le cou à un amalgame souvent fait ces temps-ci entre ces dirigeants malhonnêtes et le Libéralisme.

Si le libéralisme façon « Néo » est bien de nature sauvage, je ne suis pas d’accord pour le confondre avec le « vrai » Libéralisme née au siècle des Lumières et formalisée par Pierre Maine de Biran au début du 19ème siècle car je suis sans conteste pour la liberté des individus et la liberté d’entreprendre qui font partie des fondements de la vraie doctrine libérale qui n’interdisait pas – et n’interdit toujours pas – l’intervention d’un Etat fort pour définir les cadres et règles d’exercice de ces libertés pétries à l’origine de tolérance et de respect de la personne humaine.

Les événements que nous connaissons depuis 2008 démontrent la validité de ce principe de liberté encadrée en dehors de toutes considérations politiques ou idéologiques et certainement pas avec la nostalgie du Gosplan de feue l’URSS.

Je m’éloigne du sujet ??? Que nenni !!!
Peut-il y avoir exercice de la Responsabilité – notre sujet – sans Liberté de penser et d’agir ?

Repassons par la case RSE : je considère que ce peut être un bon outil pour autant de ne pas tomber au travers elle dans un piège de type « Business Ethics » et ses avatars « Chartes éthiques », celles du moins construites sur le « faire et ne pas faire », « interdire et s’interdire » bref des Réglements Intérieurs revisités que certains veulent bien appeler plus justement « Codes de bonne conduite » ou encore « Codes de déontologie ».

On voudra bien se souvenir que la déontologie est la « science du devoir » très nécessaire pour certaines professions, en particulier celles dites réglementées.

Mais la déontologie fixe des règles sur fond de morale, elle-même liée à un mode de pensée sociologique et culturel qu’un groupe impose à l’individu dans un espace donné, et il en est de multiples.

Je dois préciser que je n’ai pas plus de problème avec « ça » qu’avec les Lois qui s’imposent à tous et qui sont respectables et doivent être respectées dans un monde démocratique dont nous jouissons – bien heureusement – et qui offre la possibilité de les changer en utilisant un simple petit bout de papier qui s’appelle « bulletin de vote ».

Mais il y a cependant un problème quand on constate que le système proposé correspond à une posture sociologique particulière d’un groupe plus ou moins large et qu’il n’est pas adapté à nos usages.

Je m’explique : Business Ethics et RSE sont des produits d’importation qui nous viennent des Etats-Unis d’Amérique où j’ai eu le privilège de vivre et travailler pendant six ans.

Nous sont aussi venues des USA des techniques qui s’appellent le marketing et le packaging.

Le Business Ethics c’est parfois et trop souvent aussi le business de l’éthique, marketé et packagé.

Au fil du temps il m’a été donné de constater que la RSE pouvait aussi devenir – je dis bien pouvait – un produit mais aussi un outil de marketing bien utile à certains dirigeants d’entreprise.
Ce n’est pas moi qui ai inventé l’expression « green washing ».

Ce qui me désole – moi qui suis à la base patron de PME –  c’est que l’on ne fait pas vraiment la distinction entre le patron sincèrement Responsable et qui mérite à ce titre une reconnaissance – EthiCum a créé les premiers trophées RSE en 2002 - et le manager salarié d’une grande entreprise qui se sert de la RSE et d’un éventuel Trophée pour faire une opération de communication ascendant réparation d’hymen qui lui permettra de faire oublier les condamnations dont il a été l’objet, lui et/ou son entreprise.

Le périmètre de la responsabilité d’entreprise a pour composantes premières la sincérité et la cohérence de l’Entrepreneur
quand bien même il serait Manager salarié.

Les petits patrons discrets qui se lèvent tôt et qui ne peuvent délocaliser leur entreprise de proximité, vous diront eux – ou elles – que le périmètre de leur responsabilité c’est d’abord de développer – quand ce n’est pas de faire survivre – leur entreprise, c’est aussi de générer des profits qui leur permettront d’investir, de créer des emplois et même parfois de se payer, c’est encore de jouer un rôle sociétal au sens large du terme en préservant la Planète et c’est enfin de créer de la Valeur y compris humaine si chère à EthiCum dont le premier slogan fut :

Et l’Homme dans tout ça ?

J’en profite pour rappeler qu’EthiCum est née dans l’après foire aux entreprises de la « Nouvelle Economie » de la fin du XXème siècle et ses catastrophes financières et aussi – et surtout – humaines où le flot des clicks ne fut que bien tardivement canalisé par le bon mortier de la réalité du commerce et des affaires (d’aucun se souviennent peut être de « click & mortar »).

Après avoir dilapidé des sommes astronomiques et mis à mal des talents et compétences, certains créateurs de start-ups ont compris que l’on ne fait de vrai « business » qu’avec de vrais produits mais aussi de vrais employés en contact avec de vrais clients, des échanges dans lesquels les êtres humains ne sont pas seulement des variable d’ajustement.

En tout cas pour ces petits patrons que je respecte infiniment, économiser l’eau et l’énergie n’est pas seulement un geste écologique – nécessaire – dont ils pourraient se vanter mais surtout un moyen d’économiser de l’argent pour mieux réinvestir dans une démarche ou le « pour – quoi je fais » – le but poursuivi – rejoindra le « pourquoi j’ai décidé de faire » – la motivation qui me conduit à faire – dans un cercle vertueux de réflexions et d’actions.

Ce faisant le chef d’entreprise fait – plus ou moins consciemment –      un va-et-vient permanent entre l’éthique de conviction personnelle et l’éthique de responsabilité collective.

Belle élucubration d’intello déconnecté des réalités de ce bas Monde??

Je vous renvoie à la brève intro de l’animateur

En tout cas parlons concret : si en tant que Patron – ou Freelance et bien sûr Cadre – je sais bien « pourquoi » – et non pas seulement « pour-quoi » – je décide ci ou je fais ça, je peux mieux communiquer, convaincre, transmettre, aussi bien en interne qu’en externe,

  • à mes employés, pour autant que je sois rentré dans un processus collectif d’implication et d’appropriation,
  • à mes clients, dans une démarche crédible de fidélisation nécessaire pour mon chiffre d’affaires et pour laquelle d’ailleurs mes meilleurs « publicitaires » pourront être mes employés, si j’en ai.

Et alors si l’on dit que mon entreprise est « Responsable » c’est qu’il y a eu une sorte d’anthropomorphisme, que mon sens des responsabilités transparait dans l’image que donne mon entreprise, image qui est avant tout un reflet et non une impression.

Partant de là ma vision de chef d’entreprise sera facilement traduite en valeurs et surtout en engagements qui sont les fondements d’une « vraie » Charte éthique dont la déclinaison se fera ensuite en termes d’objectifs et de moyens, en « comment » et en « combien », en s’appuyant éventuellement sur un référentiel, y compris bien sûr RSE,

RSE pouvant alors plutôt dire « Redonner du Sens à l’Entreprise ».

Ce poste a 1 Commentaires

  1. HELIAS Francis dit :

    merci de cette formalisation sur la nouvelle traduction de la RSE
    ta réflexion sur le sens que donne le dirigeant à son entreprise dans sa démarche éthique nous raméne à fort peu de critères « valeurs » qui me semblent suffire à « être » responsable.

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